Pari lancé, pari tenu : Banque Populaire V, le maxi trimaran dernier cri, vient de boucler le tour du monde à la voile de Ouessant (près de Brest) à Ouessant, en 45 jours et demi environ. Ce faisant, il bat le record détenu auparavant par Franck Cammas et son équipe sur Groupama 3.
On attend l’homologation de l’exploit par le World Sailing Speed Records Council dont le tableau affiche toujours pour l’instant Franck Cammas sur Groupama 3 comme le plus rapide à faire le tour du monde sans escale en 48 jours, à la vitesse moyenne de près de 19 noeuds. S’il est vrai, comme le rapporte certains medias, que Banque Populaire V a tenu une moyenne de plus de 26,5 noeuds en bouclant le tour du monde tout dernièrement, on peut s’interroger sur la différence de longueur du parcours suivi par Loïck comparativement à celui de Franck en 2010.
Cela s’est fait dans le cadre du Trophée Jules Verne qui offre un prix à quiconque fait le tour du monde à la voile en équipage mais sans escale ni assistance technique en mer, en revenant au point de départ choisi, et parvient à établir un nouveau record de vitesse dans ces conditions.
Loïck Peyron, le skipper, a ainsi rétréci l’exploit précédent de Franck Cammas de presque trois jours. Trois jours sur 45 et demi, c’est serré et pourtant c’est la tendance qui se dessine au palmarès du Trophée Jule Verne. Le plus grand écart de vitesse dans la course au trophée par rapport au record précédent a été arraché par Bruno Peyron en 2005 sur Orange 2, soit en 50 jours et 16 heures. Treize jours d’écart sur record précédent, c’est énorme. Depuis, on grignote quelques jours sur le record précédent, l’équivalent de quelques dixièmes de secondes dans un slalom géant dans les compétitions de descente à ski. Cela ne paraît pas énorme aux non-initiés mais il faut bien savoir que tout se joue avec le meilleur matériel et équipage possibles pour creuser l’écart. C’est là la nature de l’exploit.
D’ailleurs, Loïck Perron n’a pas tardé, à son arrivée à Brest, à déclarer que Banque Populaire V aurait pu faire mieux, beaucoup mieux, avec le même voilier n’eût été de l’allongement imprévu du parcours en raison d’un immense champs d’icebergs qui lui barrait la route directe. En plus, sur le parcours du retour, il lui a fallu contourner l’anticyclone des Açores par le Nord. Un autre détour. Hormis ces détours, Loïck et son équipe avaient choisi un bon créneau météo au départ, élément absolument crucial d’une bonne course autour du monde à la voile.
Loïck et son équipe étaient très bien préparés et l’équipage de 14 hommes formait un groupe aussi solidaire qu’efficace grâce en bonne partie aux talents de meneur d’hommes de Loïck. Comme quoi il naît d’autres Ernest Shackleton au fils des ans.
(Merci à YachtPals pour la photo)
On peut se demander comment est-il possible de tenir une moyenne d’un peu plus de 26 nœuds pendant 45 jours et quelques heures, nuit et jour, sans se faire prendre par une grosse vague ni heurter d’obstacles. Il y a là une part de chance mais surtout une bonne stratégie et un voilier bien conçu (par le frère de Miche, soit dit en passant). Un trimaran lancé à 30 nœuds et plus contre un mur d’eau en pleine nuit court un risque très fort d’enfourner et de culbuter si le barreur ne voit pas la vague à temps pour changer de cap, juste le temps de passer la vague sans encombre. Or, dans les hautes latitudes autour du cercle polaire sud, il règne une luminosité suffisante 24 heures sur 24 pour apercevoir l’obstacle à temps.
Déjà, à la suite du Fastnet catastrophique de 1979, un skipper qui avait réussi à passer dans le gros temps et franchir la ligne d’arrivée, avait observé que le tout était d’aller assez vite en gardant suffisamment de toile pour se faufiler rapidement entre les déferlantes, ces chavireuses de voiliers.
De nos jours, les voiliers de course au large sont conçus exactement pour tenir une vitesse élevée dans une mer démontée afin de pouvoir négocier un passage sans casse avec la forte houle surplombée de hautes vagues menaçantes. Dans une mer désordonnée, il n’est pas dit que cela soit aussi facile. C’est aux skippers invétérés à nous parler de leurs techniques dans leurs récits de course folle à la voile. Il arrive encore que des voiliers très rapides aient à se mettre en panne, mais moins souvent qu’auparavant. On se rappelle, par exemple, de Michel Desjoyaux (Miche) qui, durant le Vendée Globe 2008-2009, semblait passer dans toutes conditions météo sur sa route – en silence radio – pour ressortir quelques heures plus tard, tout naturellement, sans dommages.
Revenons à Loïck et son équipage, au routeur hollandais qui les guidait par radio entre les icebergs et autres dangers ainsi que le concepteur naval de Banque populaire V et les ouvriers du chantier qui l’ont construit, et tant d’autres. Une formidable réalisation nautique, française encore une fois, qui démontre la belle obsession d’un pays tout entier pour la mer, la voile, la conception de voiliers performants, la débrouillardise, l’esprit compétitif et la sécurité en mer, la place réservée aux jeunes, la formation de la relève, les populations côtières, la vitalité des petits ports, les solitudes océanes …
Loïc étant si sûr de lui maintenant, pouquoi ne pas souhaiter à Banque Populaire V et son équipage d’être les premiers à baisser à 40 le nombre de jours nécessaires pour faire le tour du monde à la voile, soit la moitié de ce que Jules Verne s’était accordé dans son célèbre roman « Le tour du monde en quatre-vingts jours » ? Cinq jours de moins que le tout dernier record ! Parions que Loïc Peyron et son entourage misent déjà sur ce nouvel exploit à venir.
Bravo, Banque Populaire V !